Interview de Catherine Tamarindi, nutritionniste spécialisée sur l'obésité
Maladie chronique,  Obésité,  Témoignage

Nutritionniste spécialisée dans l’obésité : interview de Catherine Tamarindi

Quels sont les principaux facteurs de l’obésité ? Comment les régimes alimentaires et les interventions nutritionnelles influencent-ils cette condition ? Catherine Tamarindi, médecin nutritionniste spécialisée dans l’obésité, répond à toutes ces questions et bien d’autres dans notre interview audio. 🎙️ Elle y partage ses connaissances sur les pratiques et recommandations liées à cette pathologie.

Quels sont les principaux facteurs qui contribuent à l’obésité ? 

« Les principaux facteurs qui vont contribuer à l’obésité sont de deux sortes, vous avez la grosse partie qui est l’origine génétique de l’obésité donc en fait la prédisposition familiale des personnes à développer une obésité et ces gènes vont beaucoup plus s’exprimer dans un environnement qui va être propice. Donc les deux facteurs sont la cohabitation, on va dire, de la génétique et de l’environnement. Par environnement on entend la sédentarité, une alimentation désorganisée, ou riche en graisses, en sucres rapides qui vont favoriser l’installation d’une prise de poids. »

En tant que nutritionniste spécialisée sur l’obésité, comment gérez-vous les patients qui ont des difficultés à suivre des recommandations diététiques ?

« Le but en nutrition, ça va être déjà d’accompagner ces personnes, c’est-à-dire de voir où elles se “trompent”. Si c’est l’aspect quantité, qualité, si c’est leur mode de cuisine qui va être difficile, la prise en charge par un médecin nutritionniste se doit d’être complète et pas que nutritionnelle. 

« Par exemple, dans ma pratique, j’ai un réseau qu’on a mis en place en fait avec des psychologues pour axer aussi le côté psychologique, puisque quelqu’un qui a des problèmes de poids a très souvent aussi des troubles du comportement alimentaire. On n’est pas obligé d’être boulimique ou hyperphagique pour prendre du poids, il y a quelquefois une alimentation dite émotionnelle, « doudou », et qui peut faire prendre du poids, donc il faut travailler aussi ce côté-là, c’est-à-dire vraiment le but c’est aussi de déculpabiliser. Ce n’est pas qu’une histoire bête, méchante de calories ou de malbouffe, ça peut être un peu plus compliqué. Dans ma pratique, j’intègre même une hypnothérapeute avec qui on travaille beaucoup, et qui va permettre de travailler ce côté-là. 

« L’autre côté, pour toujours motiver les patients, c’est le côté activité physique. Parce qu’en fait, perdre du poids, c’est génial : sur la balance on perd, on voit le chiffre qui s’améliore, mais si à côté la silhouette ce n’est pas très joli, ce n’est pas très bon non plus. D’un autre côté, peut-être que ne pas perdre de poids, ne perdre que des centimètres, c’est sympa aussi. Et là je travaille beaucoup avec, par exemple, des kinésithérapeutes, des rééducateurs sportifs, on a mis en place plusieurs cours de sport adaptés aux personnes obèses dans ma région, et on favorise aussi ce côté-là. 

« En fait, pour motiver, je pense que c’est très important de jouer sur tous les axes. Ce qui est très important aussi, c’est une prise en charge, alors déjà multidisciplinaire mais aussi, si on y arrive, familiale parce que souvent en fait, quand un des membres de la famille est touché, si c’est la maman qui vient souvent au cours d’une consultation, elle va nous parler aussi d’un de ses enfants qui a un petit surpoids, donc si c’est familial ça fonctionne aussi beaucoup mieux. »

Comment les aliments transformés et les boissons sucrées contribuent-ils à l’obésité ? 

« Que ce soit le cadre des aliments ultra-transformés ou les sodas, les boissons sucrées, c’est un apport énergétique supplémentaire dont on n’a pas forcément besoin. C’est-à-dire que, par exemple, vous avez très certainement entendu qu’un verre de coca pourrait contenir 8 à 10 morceaux de sucre et donc vous rajoutez tout cela en plus de l’apport énergétique que vous avez ingurgité ou ingéré toute la journée. Donc ça, c’est un des éléments qui fait prendre du poids. 

« Les boissons sont des calories vides, si on peut dire, c’est-à-dire que lorsque vous buvez une calorie, ce n’est pas la même chose que quand on la mange. C’est-à-dire qu’à ce moment-là, elle va être plus vite stockée, si on peut dire ça, et moins vite utilisée par la suite. Dans le cadre des boissons sucrées, mais tout comme dans les boissons alcoolisées, l’alcool est également un pourvoyeur, un élément qui va apporter des calories et du sucre et ça, ça fait également prendre du poids. C’est pour ça que souvent, quand les patients arrêtent de boire des sodas ou de boire de l’alcool, très très vite ils vont perdre très rapidement ces kilos parce que ces calories-là sont complètement vides et directement stockées. 

« Pour ce qui représente les aliments ultra-transformés, ça va être aussi l’excès de sel ou d’additifs, qui vont faire prendre du poids. Les aliments ultra-transformés sont aussi, quand on regarde les étiquettes, beaucoup plus riches en graisses saturées, qui sont de très mauvaises graisses qui vont favoriser l’augmentation notamment du tour de taille, de la graisse abdominale qui, en plus de ne pas être bonnes sur le côté pondéral, ne sont également pas bonnes sur le côté santé, avec une augmentation du risque de cancer digestif, ce genre de choses-là. »

Quelles sont les interventions nutritionnelles les plus efficaces pour les enfants en situation d’obésité ? 

« Il ne faut pas intervenir trop tôt. C’est-à-dire que, par exemple, quand on vous dit « Mon enfant a moins de 2 ans – ou même jusqu’à 5 ans – et il est en surpoids ou en obésité », à ce moment-là, à part dire aux parents de ne pas le faire grignoter et de faire du sport, il n’y a pas grand-chose à faire parce que généralement, automatiquement, ça rentre dans les clous. 

« L’idée, c’est vraiment de prendre en charge les enfants déjà un petit peu plus grands, on va dire, après 5-6 ans et de toujours rester très simple. L’idée, c’est vraiment : pas de frustration, surtout pas de restriction, parce que c’est à ce moment-là qu’ils risquent de développer ces troubles du comportement alimentaire, notamment si, sans faire exprès, les parents vont faire un petit peu de différence entre le petit dernier qui est tout maigrichon et le premier qui est un petit peu en surpoids. Il y en a un à qui on va donner un dessert un peu sucré et l’autre ce sera une pauvre pomme, ça ne peut pas fonctionner. 

« L’idée, c’est vraiment de réadapter les quantités parce que souvent [le niveau des quantités] un des soucis. On re-sert facilement les enfants, on a aussi un excès de protéines souvent dans les repas, donc faire très attention à avoir des protéines de bonne qualité et pas en excès, de lutter contre le grignotage, de mettre plutôt des goûters, et des goûters simples, sains, qu’on apprend aussi à faire soi-même, des petits gâteaux mais pas trop sucrés, ou des fruits et une activité physique. 

« Tout ce qui va être baby gym, [etc], très intéressant à mettre très très tôt. C’est-à-dire vraiment lutter très très tôt contre cette sédentarité qu’on voit de plus en plus chez les enfants, puisqu’aujourd’hui, c’est ce que donne les dernières données d’Obépi, on a quand même 34 % des enfants de 2 à 7 ans qui sont en surpoids et entre 8 et 17 ans, on a encore 27 %. C’est quasiment un tiers de notre population infantile qui est en surpoids, en obésité. Donc il faut vraiment lutter contre cette sédentarité et réadapter simplement les portions, mais ne plus faire comme on a fait il y a plusieurs années, de la restriction. Là, sinon, on peut être dangereux et c’est ces enfants-là qui développeront une obésité plus tard, par ce côté alimentation émotionnelle, je me réfugie dans l’alimentation. 

« Il faut vraiment être surtout logique, c’est vraiment de la logique : je réadapte les portions, je fais du sport, et pas de frustration et pas de différence. C’est pour ça que je vous parlais tout à l’heure de la prise en charge familiale et c’est vrai que c’est bien de ne pas prendre qu’un des enfants, d’avoir souvent en consultation le papa, la maman et peut-être les autres, et que tout le monde fasse un petit peu attention à la maison, c’est plus facile. »

Pouvez-vous décrire un plan nutritionnel typique pour une personne atteinte d’obésité morbide ?

« Toujours dans la logique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas un plan pour tout le monde. L’idée, c’est d’être au cas par cas, en fonction de l’âge de la personne, de ses pathologies (hypertendus, apnée du sommeil, gonarthrose, ou autres pathologies liées à l’obésité), du statut hormonal, si on a une femme qui est avant la ménopause, une femme après la ménopause, quelqu’un qui n’a pas eu d’enfant, quelqu’un, comme je disais tout à l’heure, au niveau de ses horaires de travail, qui va travailler en posté ou en horaire de jour, quelqu’un qui a l’habitude de faire du sport ou pas. Donc, c’est déjà de faire un petit peu le point avec la personne. 

« Ensuite, l’idée dans un plan alimentaire, c’est de corriger en fait déjà les erreurs que fait la personne. Vraiment de remettre un simple équilibre avec ce qu’on connaît : le légume, le féculent, la protéine, dans des quantités adaptées, éviter le grignotage, éviter toujours ces restrictions intempestives, donc de sauter des repas, jeûner ou des choses comme ça, ça n’apporte rien à part risquer d’engendrer des troubles du comportement alimentaire. Il faut se dire souvent que quand des patients arrivent en obésité morbide, ce n’est pas seulement une histoire d’alimentation. Il y a le côté psychologique qui va jouer, il y a aussi le cercle vicieux : j’ai pris tellement de poids que je n’arrive plus à faire de sport et à ce moment-là c’est compliqué. Donc de remettre aussi en place cette activité physique. 

« L’idée, c’est : un bon petit déjeuner, éventuellement une collation en fonction des horaires de travail du patient, un repas de midi adapté au niveau quantité, avec un plat légume, féculent, protéine, un dessert, éventuellement une collation à 4h pour ne pas avoir trop faim au dîner, puisque c’est ce repas-là surtout qui va aider, puisque comme je disais, c’est pendant la nuit en fait que se passent les choses principales, et un dîner avec à nouveau beaucoup de légumes et une protéine plutôt maigre à ce moment-là, type un poisson, et un petit peu de féculent et un dessert. Intégrer dans sa semaine au moins une à deux heures d’activité physique adaptée s’il le faut, ou de la marche tout simplement au départ. Une bonne hydratation aussi est très importante pour réussir à perdre du poids et ensuite voir si cela suffit ou si, dans le cas de cette obésité morbide, il faut aller plus loin, parler de traitement médicamenteux ou éventuellement d’une chirurgie. »

Quelles stratégies alimentaires recommandez-vous pour aider les personnes souffrant d’obésité morbide à perdre du poids de manière saine et durable ? 

« Le régime miracle, le régime magique n’existe pas, sinon ce serait vraiment top, on serait tous minces. Quand on a atteint ce degré d’obésité morbide, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que certaines personnes peuvent même vous le décrire, c’est qu’elles peuvent s’arrêter de manger et en fait, elles ne perdent plus de poids. On est rentré dans ce qu’on appelle la résistance à la perte de poids. Les cellules graisseuses ont été tellement modifiées qu’en fait elles deviennent comme fibreuses et elles n’arrivent plus à se vider. La personne en obésité morbide n’arrive plus à perdre de poids, c’est là qu’on pose l’indication de la chirurgie. […] »

En tant que nutritionniste spécialisée sur l’obésité, que pensez-vous de la sensibilisation du grand public à l’obésité ?

« Alors, moi je suis membre du conseil d’administration de la Ligue contre l’Obésité. [Il faut] qu’on écoute assez les personnes obèses, je pense qu’en fait on n’a pas assez sensibilisé, les personnes à ce que l’obésité soit vraiment considérée comme une maladie. […] En tout cas, de mon côté, on essaie, on met des choses en place. 

« Est-ce qu’on a assez conscience que c’est une vraie maladie avec ses conséquences ? Je ne pense pas. Je pense que là, il y a encore beaucoup de travail, il y a encore beaucoup de stigmatisation, on parle beaucoup de la grossophobie que ce soit au travail, ou à l’école, ou peu importe et c’est vrai que de ce côté-là, je pense qu’il faut qu’on continue à sensibiliser peut-être dès le plus jeune âge, dès l’école, mettre en place des… on a la semaine du goût, on pourrait tous intervenir et parler un petit peu de ça. On voit dans les dernières données d’OFÉO que l’obésité continue de grimper, on a dépassé les 18 % d’obésité en France avec les DOM-TOM et on a dépassé les 18 %, c’est énorme, ça fait quasiment 10 millions de personnes qui sont obèses en France, donc il faut continuer à sensibiliser, à en parler et à tenir compte du fait que c’est une réelle maladie chronique. »

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Spécialisée dans la production et l'écriture de témoignages patients et d'interviews d'associations de patients et de professionnels de santé, passionnée par le secteur de la santé, Delphine a à cœur d'offrir des contenus de qualité qui soutiennent les patients dans leur parcours de soins. Ayant collaboré avec divers professionnels de santé et entreprises du domaine médical, elle travaille à faciliter le parcours de soins du patient.