Cancer du sein : interview de Hervé Bonnefoi, oncologue
Le Professeur Hervé Bonnefoi, oncologue, vous apporte des réponses sur les causes du cancer du sein. Il vous parle de dépistage, traitement, chimio…
Hervé Bonnefoi est médecin, professeur en cancérologie à la faculté de médecine de Bordeaux. Il est aussi praticien à l’Institut Bergonié. Ce dernier est un des 18 centres anti-cancéreux français. Il a une triple activité de soins, d’enseignement et de recherche (« du moins j’essaye » de ses propres mots).
Quelles sont les principales causes d’un cancer du sein ?
La principale cause est le vieillissement : 80% des cancers du sein surviennent après 50 ans. On n’est pas vieux après 50 ans. Cependant, les cellules réparent moins bien certaines erreurs lorsqu’elles se divisent et ce particulièrement au niveau du sein. Ce cancer touche 1 femme sur 37 de 50 à 59 ans; 1 femme sur 26 de 60 à 69 ans. Au total, 1 femme sur 8 vivant au delà de 80 ans développera un cancer du sein.
La deuxième cause est génétique (au sens de prédisposition génétique familiale au cancer). Elle concerne 5 à 10% des cancers du sein. Au delà de ce pourcentage, le poids de ces cancers du sein de cause génétique est très lourd. En effet, ils touchent des femmes plus jeunes. Par définition plusieurs femmes dans une même famille, voir même dans une même fratrie.
D’autres facteurs jouent certainement un rôle, tels que l’alcool, le tabac, le surpoids et la sédentarité. L’importance relative de ces différents facteurs est moins facile à quantifier que pour d’autres cancers. Quoiqu’il en soit, personne n’ignore que des mesures aussi simples que boire avec modération, arrêter de fumer, perdre du poids et faire de l’exercice améliorent la santé en général. Ces mêmes mesures sont également susceptibles de diminuer le risque de cancer du sein. Cependant, de nombreuses patientes présentent un cancer du sein. Pourtant, elles n’ont jamais ni fumé ni bu, n’ont pas de surpoids et font une heure de sport par jour.
Ainsi, il n’y a pas d’explication pour de nombreux cancers du sein. Les patientes peyvent donc avoir un sentiment d’injustice et une forme de révolte.
Qui est concerné et existe-t-il des profils de femmes à risque de cancer du sein ?
Les profils de femmes à risque correspondent à des familles dans lesquelles ont été observé un ou plusieurs cancers du sein et/ou de l’ovaire et ce plus volontiers à un âge jeune.
Y a-t-il un facteur génétique ?
Hervé Bonnefoi : Pour être précis, il faudrait préciser « facteur génétique familial » sous-entendu héréditaire. On identifie plusieurs gènes . Lorsque ces gènes mutent, le risque de cancer du sein et/ou de l’ovaire est important. Les deux gènes les plus connus sont BRCA1 et 2. On peut suspecter des prédispositions au cancer du sein par le simple interrogatoire des femmes. Au terme de cet interrogatoire, le médecin de famille ou le gynécologue pourra si besoin adresser les femmes dans une unité d’oncogénétique.
Comment le dépiste-t-on ? A quel âge faire son 1er dépistage ? Et à quelle fréquence?
H B : Dans la population générale, le dépistage dit « organisé » consiste en France, à partir de l’âge de 50 ans et jusqu’à 74 ans, en la réalisation tous les 2 ans d’une mammographie. Le dépistage est dit « organisé » dans la mesure où les femmes reçoivent un courrier personnalisé les invitant à réaliser une mammographie dans une structure agrée. Avancer l’âge de début du dépistage, par exemple à partir de 40 ans, a fait l’objet (et fait toujours l’objet) de débats passionnés. Pour l’instant, on ne peut pas démontrer le bénéfice de ce dépistage entre 40 et 49 ans.
Chez les femmes porteuses de mutation des gènes BRCA1 et 2, de l’âge de 30 à 65 ans, un dépistage par examen clinique, mammographie et IRM mammaire une fois par an est proposé à partir de 30 ans. Après 65 ans, on recommande un examen clinique et une mammographie annuelle.
Pourquoi le dépistage est important ? Et pourquoi on ne sensibilise pas plus les femmes au dépistage ?
H B : Le dépistage permet de diagnostiquer des tumeurs de plus petite taille autorisant ainsi plus souvent un traitement conservateur (ablation de la tumeur sans ablation du sein). Le dépistage augmente également le nombre de guérisons (l’importance de ce bénéfice est néanmoins variable selon les études).
En France, environ 50% des femmes participent au dépistage « organisé » et 10% à 15% font pratiquer des mammographies dans le cadre d’une démarche personnelle. Je n’ai pas d’explication simple par rapport à ce taux de participation national relativement faible. Je ne peux que recommander de consulter le site de l’INCa à ce sujet qui est très clair « pour s’informer et décider » comme le propose la première page du site.
Pour rappel, dès 25 ans, une palpation par un professionnel de santé une fois par an est recommandée, et en plus dès 50 ans, une mammographie tous les deux ans. Ce droit au dépistage sauve des vies. Détecté à un stade précoce, le cancer du sein peut être guéri dans 9 cas sur 10.
Quels sont les différents types de cancer du sein ?
H.B: « On distingue trois groupes de cancers du sein :
- le groupe « récepteurs hormonaux positifs », récepteurs aux oestrogènes (RO) et/ou progesterone (RP), positifs. On parle de cancers luminaux.
- le groupe « HER2-positifs »
- le groupe « triple négatifs » (RO, RO et HER2 négatifs).
Cette séparation en trois groupes est importante car elle reflète des différences dans la biologie de ces cancers et entraîne des traitements différents.
Néanmoins, cette classification est très schématique et les choses sont bien-sûr un peu plus compliquées. Chacun de ces groupes se subdivise en plusieurs sous-groupes. Ces subdivisions sont du domaine du spécialiste :
- les cancers dans le groupe « récepteurs hormonaux positifs » peuvent être de cinétique lente ou rapide
- les cancers HER2-positifs peuvent être RO et/ou RP négatifs ou positifs
- enfin le groupe des triples négatifs est très hétérogène et comprend même un sous-groupe avec des récepteurs aux androgènes (RA) positifs (les « apocrines moléculaires »); mais les 3/4 sont RA négatifs.
Existe-t-il des médicaments qui impacteraient sur le développement d’un cancer du sein (contraception, médicaments…) ?
H.B : « La bonne nouvelle est que le seul médicament « accusé de complicité » dans la survenue des cancers du sein est le traitement hormonal de la ménopause (THM). Du moins dans sa version nord-américaine comportant des doses assez importantes d’œstrogènes associés à des progestatifs. Les THMs utilisés en France augmentent très peu (ou pas) le risque de cancer du sein. Ils doivent être proposés auprès des femmes présentant des symptômes gênants liés à la ménopause.
Chez les femmes indemnes de cancer du sein, la contraception, oestro-progestative ou progestative, par pilule ou par stérilet, n’augmente pas le risque de survenue d’un cancer du sein. D’ailleurs ce type de contraception peut être proposé chez les femmes porteuses de mutation de BRCA 1 ou BRCA2.
La chimiothérapie et l’ablation du sein sont-elles systématiques en cas de cancer du sein ?
H B :« La chimiothérapie c’est pas automatique », pour reprendre une formule souvent employée pour les antibiotiques. Heureusement les médecins ont appris ces dernières années à proposer moins souvent la chimiothérapie. De plus cette proposition fait maintenant systématiquement partie de ce que l’on appelle « un processus de décision partagée » ; concrètement on partage avec la patiente et son entourage, les arguments pour lesquels on souhaite administrer la chimiothérapie, le bénéfice escompté et la toxicité (c’est la notion de balance bénéfice-risque).
L’ablation du sein n’est heureusement plus systématique depuis plus de 30 ans. Néanmoins dans une minorité de cas (j’insiste « dans une minorité de cas ») le chirurgien va devoir réaliser une ablation. Le plus souvent on propose une reconstruction immédiate. Ceci étant, reconstruction ne veut pas dire « reconstruction à l’identique » ou « chirurgie esthétique ». D’où l’importance de recourir à une équipe ayant une grande expérience dans ce domaine.
Parlez-nous plus de vous : votre métier, votre parcours, vos recherches, etc.
H B : « Je suis à Bordeaux depuis octobre 2007 après avoir été médecin au sein des Hôpitaux Universitaires de Genève pendant plus de 15 ans et après avoir également eu la chance de travailler un an à Londres au Royal Marsden Hospital avec le professeur Ian Smith.
Je fais partie de l’équipe SEIN à l’Institut Bergonié et nous participons à de nombreuses études locales, nationales ou internationales. Certaines études ont pour objectif de de-escalader les traitements afin de diminuer leur toxicité (par exemple en faisant moins de chimiothérapie). D’autres ont pour objectif d’évaluer de nouveaux médicaments (escalade thérapeutique) afin d’être plus efficace en diminuant le nombre de rechutes. Notre équipe collabore également avec plusieurs autres équipes de l’Institut Bergonié dans des domaines très divers qui vont de l’oncogériatrie aux nouveaux médicaments, en passant par la télémédecine et la radiologie interventionnelle.
Par ailleurs, je suis directement responsable de deux programmes de recherche. Pour cela, je suis en collaboration avec d’autres équipes en France et à l’étranger. Le premier concerne un sous-type particulier de cancer du sein dit « apocrine moléculaire ». Nous l’avons découvert en 2005. Nos recherches vont des aspects les plus fondamentaux, en essayant de comprendre comment se forment ces cancers (oncogénèse), jusqu’à la recherche clinique, en évaluant de nouveaux traitements.
Le deuxième programme concerne l’intérêt clinique potentiel pour les patientes d’un marqueur sanguin, l’ADN tumoral circulant, dans le cadre du suivi pendant les années qui suivent une intervention chirurgicale (étude ALIENOR). Je m’empresse de préciser à propos de cette étude que l‘on ne communique pas aux patientes le résultat de ce test sanguin. Pour l’instant on ne change pas leur prise en charge. Il s’agit de ce qu’on appelle de la recherche purement cognitive. Néanmoins les patientes acceptent de participer à cette étude et partagent notre espoir d’améliorer la prise en charge d’autres patientes à l’horizon 2025. Les résultats de cette étude sont prometteurs. Cependant, on proposera une deuxième étude afin d’adapter le traitement en fonction du résultat du test mais nous n’en sommes pas là.
Si vous voulez faire un don à l’Institut Bergonié où travaille Hervé Bonnefoi afin de poursuivre la recherche contre le cancer du sein, rendez-vous sur : https://www.bergonie.fr/faire-un-don/
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